Egon Liberge

Le Marketing Parfait de Water Lost

Pendant mon dernier voyage au Portugal, j'ai passé deux semaines dans la petite ville de Péniche.

C'est dans cette ville que la vie m'a présenté une belle surprise...

Le magasin de surf avec le marketing le plus stylé et profond du monde.

Je cherchais à louer une planche de surf le long de la plage et c'est là que j'ai vu "Water"Lost".

Immédiatement en voyant le panneau à l'entrée, j'ai senti qu'il ne s'agissait pas d'un magasin de surf générique comme j'avais pu en voir ailleurs.

L'entrée avait pour blason une photo portrait de deux hommes dont les visages avaient été scindés en deux et collés.

Le visage de gauche était visiblement celui d'un marin dans la soixantaine. On le reconnaissait à sa casquette usée, à sa barbe blanche et à la peau très marquée par les nombreuses années exposées au soleil et au sel.

Le visage de droite était celui d'un homme plus jeune, 32 ans peut-être, avec un bonnet, mais pas de pêcheur, et bien rasé.

Cette image était trop sophistiqué pour être faite au hasard.

Je sentais que quelque chose se cachait derrière.

Mais je ne m'attendais pas à ce que j'allais découvrir...

En rentrant dans le magasin, je parle au manager.

J'avais aperçu juste devant la caisse une branche de bois épaisse avec des photos polaroid épinglées. Sur une des photos, je reconnaissais le visage de l'homme derrière la caisse . Son nom était écrit juste en dessous.

"Salut, c'est bien toi Alex ?"

Il semblait surpris.

Visiblement, ce n'était pas tous les jours qu'un étranger déduise son nom des photos.

Je lui demandais de m'en dire plus sur le magasin et il accepta avec plaisir.

Le fondateur du magasin s'appelait Nico.

Nico était le descendant d'une ancienne famille de pêcheurs dont les générations vivaient à Péniche depuis très longtemps.

Il faut savoir qu'aujourd'hui Péniche vit principalement du tourisme et du surf, mais avant que ce ne soit le cas, les familles et surtout les hommes qui naissaient à Péniche n'avaient pas 36 options de métier.

La veine commerciale principale était la pêche, et c'était un métier très dangereux avant que les technologies récentes ne diminuent les risques.

Tout comme en Inde où c'est normal que des autoroutes entières soient bloquées pendant des heures parce qu'une vache a décidé de faire la siesta, dans les familles de pêcheurs, il est commun d'avoir des membres qui ne sont jamais revenus de leurs expéditions, m'expliquait Alex.

Nico, le fondateur, descendait directement d'une famille de pêcheurs sur quatre générations.

Deux d'entre eux ont péri en mer.

Ces hommes ont laissé derrière eux leurs femmes et leurs enfants, dont le père d'Alex qui lui n'a jamais voulu rien avoir à faire avec la pêche.

On comprend pourquoi.

En même temps, il me montrait du doigt quatre portraits collés sur le mur arrière du magasin.

Les portraits représentaient Nico, son père, et ses deux arrières grands-pères, morts à la mer.

Le nom du magasin "Water Lost" (Perdu en mer) prit alors tout son sens.

Alex m'expliquait que la vision de Nico était d'honorer les générations d'hommes qui ont péri en mer.

Celles de Péniche, mais pas seulement.

Il voulait montrer au travers de ce magasin qu'il se souvenait d'eux.

Je remarquais alors un écriteau caché entre 2 piles de T-shirt : « Un passé de pêcheur, un futur de surfer."

À ce moment, je savais que mon intuition était fondée.

En surface, j'étais dans un magasin de surf, mais ce lieu avait un sens bien plus profond.

À l'œil non attentif, rien à déclarer. Mais au curieux qui voulait voir plus loin et comprendre le sens des choses, celui-là s'apprêtait à plonger dans une histoire qu'il n'aurait jamais soupçonnée.

Il y avait quelque chose qui dépassait le business et le branding.

On touchait au spirituel et de mystique.

Je remerciais Alex pour ses explications et explorais le magasin tout seul.

C'est là que le shop dévoila l'élément qui m'a le plus marqué.

Cachés un peu partout entre les produits, se trouvaient tantôt des récits de Nico, tantôt des poèmes et des odes de marins à la mer qui prient pour revenir de leur expédition, tantôt des reliques d'ancien plancher d'un des navires de la famille.

Chaque artéfact venait s'ajouter à l'ensemble et lui donnait de la profondeur.

Le puzzle révélait petit à petit tout son sens.

Je n'étais plus dans un magasin.

J'étais un cimetière qui glorifiait les perdus en mer.

Dans un musée qui immortalisait des restes de navires et leurs équipages qui reposent à jamais dans les abysses.

Je fut alors pris d'un vertige. Je me souviens du moment précis où j'ai réalisé ça. J'ai presque senti l'âme de Nico et ses ancêtres dans l'endroit.

Il avait créé une expérience qui dépassait le visible.

Aucun de ces écriteaux, récits et artefacts n'était "nécessaires" au magasin.

Ils n'étaient pas mis en avant.

Il fallait quasiment faire un effort pour les trouver.

Ils étaient juste là, disponibles pour ceux qui voulaient écouter leurs histoires et comprendre la vraie nature du lieu.

Il faisait ça au travers de ces « écriteaux dissimulés"

Un écriteau disait : "Le surf n'est pas un sport, c'est une source où l'on se retire en quête de paix."

Un autre :

"Saviez-vous que... notre premier magasin de surf s'appelait G3 surf shop ? » C'était très lucratif et cool jusqu'au moment où on a compris que nous n'étions qu'un énième chiffre pour les grandes marques. Supportez les business locaux, protégez vos marques locales. OSEZ ÊTRE"

Des frissons.

Un autre :

"N'oubliez jamais d'où vous venez, car votre passé peut débloquer votre futur. Honorez votre héritage. Honorez vos guides."

Cet écritaux était posé sur un petit carré de bois avec l'intitulé : "Morceau du parquais de notre ancien magasin G3 surfshop 2008"

C'est ça qui créait cette ambience de profondeur. On sentait que Nico avait à coeur de faire passer un message, au delà des produits qu'il vendait. Il avait un regard différent sur les choses.

Il avait lié business et spiritualité.

C'était une expérience incroyable et je ne m'attendais vraiment pas à trouver autant de profondeur dans un petit magasin de surf à Péniche.

Nico est certes un excellent Storyteller et Marketeur,

(Alex m'a confirmé qu'il avait un background en marketing et branding,

ah tiens...)

Mais ce que j'ai retiré de ça c'est le sens derrière les petits éléments non essentiels, comme les photos et les écriteaux qui racontent l'histoire du magasin.

Ces micros artefacts donnent un niveau de profondeur bien supérieur à n'importe quel trick marketing.

Justement parce qu'ils sont totalement optionnels, justeme,n,t parce qu'à prioris ils n'ont aucuns objectif commercial, ils sont remplis de sens.

Plonge dans ton passé et extirpe l'histoire qui te donne des frissons. Utilise ça comme moteur. Même si sur le papier ça ne génère pas du ROI.

Quand tu fais les choses avec le coeur, les gens le sentent et veulent propager l'histoire.

La preuve, cette histoire et ce magasin m'obsèdent encore, 2 semaines après que je sois rentré.

Inutile de préciser que j'ai loué ma planche chez eux tout le long, bien que leurs prix soient supérieur aux autres magasin de la zone.

Story is king.